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La nouvelle année et son millésime magique, 2000, inspirent les gourous de la consommation. On les comprend car les marques, les distributeurs, les publicitaires, tous ceux qui ont un message ou des produits à faire passer dans le public veulent savoir à qui ils ont affaire, comme si un changement certes spectaculaire au compteur du temps pouvait modifier en profondeur létat desprit, les goûts, les motivations de toute une population de consommateurs ! On ne compte plus les colloques, séminaires, communications, enquêtes et sondages dopinion qui se sont efforcés ces derniers mois, et encore aujourdhui et demain, nen doutons pas, de dresser un état des lieux aussi précis que possible de la sociologie et de la psychologie des agents économiques situés en bout de chaîne, si lon ose dire. Les rapports fleurissent sur le tout dernier profil de groupes cohérents de consommateurs, mais aussi sur la perception que ceux-ci ont des marchands (voir dans ce numéro les enquêtes dIpsos et de lObservateur Cetelem). Le fabricant et le commerçant sintéressent au client pour lui vendre mieux et plus, mais ils veulent savoir ce quil pense deux pour, on limagine, corriger le tir le cas échéant. Il est aujourdhui de plus en plus malaisé didentifier des cibles mouvantes, fascinées par le rythme endiablé de la révolution technologique et donc quelque peu déstabilisées. Les acteurs économiques ont besoin de repères pour construire leurs stratégies.
Le problème est que le comportement des consommateurs, en France, en Europe, est devenu fort complexe au fil des crises, économiques et morales, et des retournements conjoncturels ; un comportement qui peut susciter une multitude danalyses et de commentaires, parfois contradictoires ou paradoxaux mais souvent pertinents. La plupart des enquêtes sociologiques réalisées récemment "tiennent la route" car elles sappuient sur des panels scientifiques. Elles énoncent des faits, avancent des hypothèses et formulent des conclusions recevables, en tout cas difficilement réfutables. Et cest là quest la difficulté : l"offre intellectuelle" est très trop ? - riche, les acteurs économiques en quête de repères sinon de certitudes croulent sous le poids des enquêtes et peinent à en tirer la substantifique moelle (" trop de choix tue le choix " ). Qui croire ? que croire ?
Les enquêtes et le flair
Dans ce foisonnement, des lignes de force apparaissent cependant, qui doivent constituer lossature du raisonnement des professionnels. Quelques mots clés se dégagent des différentes analyses : innovation, tradition, qualité, plaisir, émotion, autonomie (qui nest pas légoïsme), des mots somme toute positifs qui recouvrent des réalités multiformes et ouvrent des perspectives insondables aux entrepreneurs. Lépoque est extrêmement favorable à linnovation, dans tous les domaines, y compris dans la mode bien sûr, mais pas une innovation-exercice de style. Quand on perd ses repères, insensiblement on en cherche dautres, et cest ce qui se passe aujourdhui. Reste à savoir si cette quête de nouveaux sens a abouti ou si, à linstar de certaines uvres dart toujours remises sur le métier, elle est "in progress", en état de perpétuelle transformation Dans ce cas, les sociologues et autres "explorateurs" des comportements dachat ont leur avenir assuré. Quant aux commerçants, il leur faut rester aux aguets et ne retenir des nombreuses informations qui leur parviennent que ce qui leur paraît être le bon grain, cest-à-dire celles recoupant leurs propres constats. Après tout, les observateurs fondent leurs conclusions sur des observations et sur des interviews de professionnels sur le terrain.
Ces derniers, sans pour autant se couper des enseignements extérieurs toujours bénéfiques, doivent se fier à leur flair de commerçant, à leur savoir-faire. Toutes les enquêtes du monde, aussi sérieuses et argumentées fussent-elles, sont forcément globalisantes, donc incapables de cerner la réalité des poches de consommation et didentifier avec précision des comportements dachat locaux. Elles ne remplaceront jamais lexpérience du terrain, le contact quotidien avec les consommateurs dune zone de chalandise particulière. Le commerçant doit dès lors mixer lapport extérieur et sa propre expérience dans un rapport quil déterminera lui-même. Cette méthode pragmatique nous semble constituer la solution la plus réaliste pour coller à lactualité de "son" univers de consommation. En conclusion, face à la multiplicité des études de comportement de nature à semer la confusion dans les esprits, les professionnels ont tout intérêt à privilégier leur propre synthèse, tout en la confrontant aux synthèses nationales pour, si nécessaire, rectifier et améliorer.